La serra, présentée comme une belua in mare munie d'ailes avant de l'être parfois comme un oiseau et d'en avoir en partie la semblance, a fait l'objet d'une étude pionnière par G. C. Druce (« Legend of the Serra or Saw-Fish », Proceeding of the Society of Antiquiaries of London, 2e série, 3, 1918-19, p. 20-35). Mais elle est à compléter, tant au niveau des textes qu'à celui des images. Moi même, j'ai évoqué cet animal dans un article intitulé « Drôles d'oiseaux. Le caladre, le phénix, la sirène, le griffon et la serre dans le Physiologus, les Bestiaires et les encyclopédies du XIIIe siècle. Mise en perspective », paru dans les Actes du 32e Colloque du CUER MA, Déduits d'oiseaux au Moyen Âge. Aix-en-Provence, mars 2007 (dir. Ch. Connochie-Bourgne et le Centre Universitaire d'Études et de Recherches Médiévales d'Aix-en-Provence), Aix-en-Provence, Publications de l'Université de Provence, 2009, p. 163-178, et ills. p.302-306 (Sénéfiance, 54). Mais la partie consacrée à la serre est extrêmement courte (p. 172 et pl.7.) et je m'y focalise essentiellement sur les rapports qu'elle entretient avec la gent ailée. Pas davantage que l'article de Druce, le mien ne compromet donc la réalisation d'une étude systématique des traditions textuelles et iconographiques dont la serra a fait l'objet au Moyen Âge – ce que je me propose de faire ici.
À ce propos, on rappelera notamment que les traditions textuelles ont parfois divergé ou alors, se sont complétées. Ainsi, d'après Isidore de Séville, une des natures de la serra la rapproche du poisson-scie – ce qui a notamment eu des conséquences sur la manière dont elle a été figurée et sur son concept même, puisque cette affirmation a induit son dédoublement ultérieur. En effet, chez Thomas de Cantimpré et chez Albert le Grand, il est question de deux serres : d'une part un poisson volant, et d'autre part un aquatile muni d'un rostre redoutable, présenté comme appartenant à une autre espèce. C'est également par rapport à ce cousinage inattendu qu'on peut insérer la serre dans le petit groupe de monstres marins qui ont, à des degrés divers, joué un rôle dans la conception du poisson-chevalier – ce qui doit également être rappelé. Par ailleurs, on a l'espoir de trouver la source de l'affirmation, attestée chez Pierre de Beauvais, suivant laquelle la serra serait « un poisson fait à la ressemblance d'un animal créé sur terre ». On notera à cet égard que l'une d'elles est déjà représentée comme un bipède ichtyomorphe ailé, dans l'illustration d'un exemplaire de Physiologus grec, réalisé au XIe siècle, en Italie du sud – ce qui pourrait nourrir l'une ou l'autre hypothèse inédite.
Bref, évoquer la serra dans la littérature didactique et encyclopédique et dans ses représentations figurées est une entreprise passionnante eu égard à l'instabilité de sa nature et à l'étonnante diversité de son iconographie qui en est le reflet– sans oublier tout ce qu'on peut dire au niveau du rapport entre texte et image dans les manuscrits et les traités imprimés illustrés où il en est question.
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