À la recherche des catégories ichtyologiques médiévales : séries de poissons et espèces prototypes dans les inventaires alphabétiques latins du XIIIe siècle
Cécile Rochelois Le Cornec  1@  
1 : Arts / Langages : Transitions et Relations  (ALTER)  -  Website
Université de Pau et des Pays de l'Adour : EA7504
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Pour accéder au savoir disponible sur les espèces de poissons au Moyen Âge, les sources les plus prolixes sont les livres alphabétiques consacrés aux animaux aquatiques par les dominicains Thomas de Cantimpré, Vincent de Beauvais et Albert le Grand au milieu du XIIIe siècle. Les trois savants présentent les créatures des eaux en dressant de longues listes d'espèces, dont le nombre avoisine les 144 poissons annoncés par Pline, et en fournissant au sujet de chacune d'entre elles des informations variées, compilant toutes les sources antiques et médiévales dont ils disposent. Ces trois textes entretiennent des relations étroites les uns avec les autres, ceux de Vincent de Beauvais et d'Albert le Grand citant largement le catalogue de leur confrère Thomas de Cantimpré.

Le choix de l'ordre alphabétique pour présenter les espèces de poissons peut sembler surprenant, voire décevant, dans des œuvres nourries de la redécouverte d'Aristote. Les connaissances aristotéliciennes sur les poissons, par ailleurs scrupuleusement rapportées, ne fournissaient-elles pas aux savants dominicains des principes de classement susceptibles d'organiser leur inventaire ou du moins d'influencer le déroulement de l'exposé ? Ce paradoxe est illustré par le contraste saisissant entre le livre XXIV du De Animalibus d'Albert le Grand, qui obéit à la logique de la compilation alphabétique, et les dix-neuf premiers livres de l'ouvrage, qui offrent un commentaire du corpus zoologique arabo-latin dans la traduction de Michel Scot.

Le classement alphabétique des espèces soumet l'ordre de l'exposé à une logique des noms, indifférente non seulement à l'apport théorique d'Aristote, mais aussi aux catégories qu'auraient pu inspirer des autorités aussi influentes que Pline ou encore aux distinctions d'ordre diététique fournies depuis l'Antiquité par les médecins, largement cités eux aussi. Il est vrai que toute volonté taxinomique était vouée à se heurter à l'ambition d'exhaustivité manifeste dans ces sommes, qui compilent des savoirs d'une diversité vertigineuse, tant sur les plans chronologique et géographique que par les domaines scientifiques concernés. Comment appliquer aux poissons des mers du Nord ou aux poissons d'eau douce consommés en France au Moyen Âge des critères de classement empruntés à des penseurs méditerranéens de l'Antiquité ? Le recours à l'ordre alphabétique présentait, entre autres avantages, celui de ne laisser aucune espèce échapper aux mailles du filet.

Il est pourtant possible de distinguer, entre les lignes de ces livres alphabétiques, en les comparant, en étant attentif aux variations propres à chaque auteur et en examinant certains détails de leur agencement et de leur écriture, sinon des catégories ichtyologiques, du moins des regroupements significatifs qui ne sont pas hérités de la tradition. Nous nous efforcerons, à partir de ces trois répertoires ichtyologiques représentatifs de la culture du Moyen Âge occidental sur le sujet, de dégager quelques familles d'espèces liées entre elles par l'organisation du discours. Certains poissons, peut-être parce qu'ils sont mieux connus, semblent fournir des points de repère, indépendamment des critères de classement explicites livrés par les autorités. Nous nous demanderons s'il est pertinent d'accorder à ces espèces vedettes, mises en exergue de manière implicite par le discours encyclopédique, une valeur de prototypes. Nous aurions alors un moyen d'accéder, par l'intermédiaire de ces sources à première vue si tributaires des différentes traditions compilées, à quelques bribes d'une appréhension proprement médiévale de la diversité des créatures aquatiques.


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