Notre contribution a pour but de montrer la manière dont les savoirs ichtyologiques antiques et modernes sont mobilisés dans les Pescheries (Lyon, 1599), recueil poétique de Christofle de Gamon (1574-1622) qui représente un exemple de la poésie scientifique du tournant des XVIe et XVIIe siècles. À l'exception de quelques essais isolés, dont les églogues marines de Maurice Scève et de Rémi Belleau et des Pescheries d'Isaac Habert, ce recueil offre l'un des exemples les plus accomplis d'une poésie halieutique française dans la lignée des Halieutiques d'Oppien (IIe siècle) et des Eclogae piscatoriae de Sannazar (1526).
Divisées en deux parties, l'une dédiée à la mer et l'autre à l'eau douce, les Pescheries mettent en scène des pêcheurs et des personnages allégoriques qui, dans des monologues et des halieulogues (dialogues marins), s'échangent des récits, des maximes et des connaissances. À mi-chemin entre la fable et l'histoire naturelle, les Pescheries chantent des créatures marines réelles, dont nous trouvons les descriptions des caractéristiques et des propriétés, tirées souvent des traités ichtyologiques de Pierre Belon et de Guillaume Rondelet, et des créatures mythologiques, comme la sirène mi-femme mi-poisson maîtresse du pêcheur Philipon. Pourtant, il existe aussi dans les Pescheries des objets naturels dont le statut est plus ambigu pour le lecteur de notre époque : c'est le cas de l'Aglaophotis, plante marine luminescente dont les sources se trouvent chez Élien via Konrad Gessner ou Rembert Dodoens, ou des « harans presageux », poissons portant sur le dos des signes énigmatiques qui firent l'objet d'une série de textes prophétiques à la fin du XVIe siècle.
La veine descriptive et didactique des Pescheries ressort de manière très claire dans le cinquième monologue de la première partie, intitulé « Didascalin ». Dans ce poème, le personnage qui porte ce nom, incarnant un archétype de tous les pêcheurs, véhicule par son chant des savoirs sur la partie submergée du monde. Il s'agit d'un savoir d'abord étymologique : « Il chanta tout premier mainte etymologie / Des gens de la cité par Neptune regie ». Ainsi, l'origine des noms des poissons est une première voie d'accès à la connaissance. Didascalin montre ensuite les techniques de pêche et certaines caractéristiques singulières des créatures marines : par exemple, il révèle l'antipathie de l'huître perlière pour le tonnerre, une anecdote dont la source se trouve dans l'Histoire naturelle de Pline l'Ancien et qui, sous la plume de Gamon, prend l'allure d'un véritable secretum naturae dont le pêcheur détient les clés.
Nous interrogerons les Pescheries de Gamon afin de comprendre la manière dont la donnée de l'histoire naturelle est reprise et transformée par la poésie : les modalités de la poésie scientifique ne sont pas en effet simplement descriptives, mais elles reposent également sur l'idée que le poète-vates parvient à la connaissance de la Nature grâce à l'inspiration des Muses pour ensuite la retransmettre au moyen de la poésie. Par notre contribution, nous souhaitons ainsi mettre en lumière la spécificité du medium poétique dans la transmission des savoirs ichtyologiques à la fin du XVIe siècle.