La réception du savoir antique sur les éponges et leur pêche dans les traités ichtyologiques de la Renaissance
Morgane Cariou  1@  
1 : Sorbonne Université
Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique

Dans tous les textes antiques qui se sont donné comme objet l'aquafaune, les éponges constituent un cas-limite : embarrassés, les auteurs en font tour à tour des animaux, des végétaux ou, selon la théorie aristotélicienne, des organismes intermédiaires qui illustrent la continuité de l'échelle du vivant. Dans l'Antiquité, le débat sur la nature et partant la classification des éponges se cristallise autour des deux pierres d'achoppement que constituent les notions d'αἴσθησις et de mouvement. Leur étude permet aux naturalistes des mondes grec et romain de distinguer les spongiaires des aplysies et aux paradoxographes d'élaborer une fable selon lequel la pêche à l'éponge, notoirement périlleuse, est rendue plus pénible encore par le mouvement de rétractation et l'éjection d'un liquide nocif que les plongeurs provoqueraient à l'approche de leurs proies subaquatiques.

On s'intéressera ici à la redécouverte et à la réception de ces connaissances biologiques et halieutiques dans les grands traités ichtyologiques qui, à la Renaissance, conjuguent approche naturaliste renouvelée et érudition philologique. On pourra ainsi observer l'évolution significative qui mène des considérations succinctes de Pierre Belon et d'Ippolito Salviani aux développements novateurs de Guillaume Rondelet et de Conrad Gessner. À l'image de ce que l'on observe dans les sources antiques, l'épineuse question de la classification des spongiaires est quelque peu éludée par le zoologiste italien, dont les Aquatilium animalium historiae, très ichtyocentrées, renvoient, sans les commenter, aux passages d'Aristote, de Pline et d'Élien qui abordent ces espèces. Pierre Belon, qui n'avait fait aucune mention des éponges dans son Histoire naturelle des estranges poissons marins, considère brièvement leur cas dans ses De aquatilibus libri duo, rejetant leur mention en fin de volume. Sans se prononcer sur leur nature ambiguë, il s'intéresse à leur biotope avant de citer – à la suite de Pierre Gilles – la division péripatéticienne en trois espèces et une traduction des vers d'Oppien sur le péril qu'encourent les σπογγοτόμοι. L'acoulouthie qu'il leur assigne au sein de son traité, entre les holothuries et les lièvres de mer, ouvre néanmoins la voie aux approches plus systématiques de Rondelet et de Gessner. Le premier range en effet les éponges dans la catégorie des zoophyta tout en s'opposant aux récits antiques qui leur attribuent la sensation et le mouvement. Quant au second, il propose, à l'issue d'un tressage érudit d'observations naturalistes et d'un commentaire fin d'un passage d'Aristote qu'il amende, de faire des éponges une illustration de ce qu'il nomme le gradus naturae : les éponges occupent l'extrémité de la classe des zoophytes qui fait la jonction entre le règne animal et le règne végétal. En outre, il compose une synthèse inédite du savoir antique relatif aux techniques de pêche à l'éponge, de l'utilisation de poids à l'emploi de l'huile comme éclairage subaquatique, tout en réfutant l'idée d'une quelconque résistance des spongiaires à leur récolte.

On espère ainsi donner un aperçu d'une part de la réception d'un savoir halieutique fort particulier et d'autre part des répercussions renaissantes d'un débat que la création, par la phylogénie moderne, de l'embranchement des métazoaires n'a pas complètement refermé.

 



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