Origines, images et mythes de la femme-poisson en Méditerranée archaïque
Christian Mazet  1, 2@  
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Dans sa Périégèse, Pausanias évoque un sanctuaire isolé dans les collines du territoire de la cité arcadienne de Phigalie, ouvert une fois l'an et consacré à l'Océanide Eurynomé (VIII, 41, 4-6). Il contenait une énigmatique statue de culte que le voyageur – qui ne l'a pas vu – décrit comme une effigie en bois de la déesse, représentée comme une femme jusqu'aux cuisses et dont le reste du corps, lié avec des chaînes d'or, prenait la forme d'une queue de poisson. Les exégètes s'accordent pour en faire la description d'un xoanon d'époque archaïque, dont l'étrange hybridité pisciforme trouverait son explication dans la généalogie d'Eurynomé, comme l'explique par ailleurs Pausanias lui-même : dans l'Iliade, étant fille d'Okeanos, cette entité divine primordiale habite les profondeurs de la mer avec la Néréide Thétis (XVIII, 398-405). Toutefois, le Périégète se demande pourquoi les Phigaliens lient cette forme anguipède à la déesse Artémis : force est de constater qu'une distorsion de la signification originelle de l'image a eu lieu dans le temps.

Nous proposons d'interroger cette nature anguipède de l'hybride femme-poisson en regroupant et en analysant les manifestations figurées de l'époque archaïque susceptibles de dialoguer avec ce témoignage littéraire tardif. En effet, à partir du VIIIe siècle avant notre ère, diverses productions artistiques du bassin méditerranéen se peuplent de nouvelles représentations d'êtres hybrides inspirées du répertoire des créatures fantastiques des cultures proches-orientales. Parmi celles-ci apparaît l'image de femme-poisson, une iconographie rare qui est attestée tant dans l'aire égéenne que dans la péninsule italique dans le courant des VIIe et VIe siècles av. J.-C.

Trouvant ses antécédents formels dans les figures mythologiques mésopotamiennes et phéniciennes qui encadrent le passage des domaines de l'humain au divin (Apkallu, Kullulu et Kuliltu), le motif de la femme-poisson se décline dans le monde grec sous différentes formes, les imagiers utilisant les modèles allogènes pour représenter certaines créatures et déesses marines mythiques que nous connaissons en particulier par les récits hésiodiques et homériques et dont l'hybridité caractérise la nature polyvalente et mouvante : la terrible Skylla, les Néréides (telle Thétis en train de se métamorphoser) et d'autres Tritonesses ou Océanides, peut-être même Eurynomé dans l'imagerie attique, représentée avec une queue de baleine et liée à l'iconographie dionysiaque. Certaines représentations demeurent inexpliquées, comme le ketos féminin au double buste d'une coupe laconienne ou bien un singulier poisson gynécocéphale d'un ivoire étrusque découvert à Rhodes dans une sépulture de la nécropole de Ialysos. Cette dernière attestation prouve que certaines de ces images de la femme-poisson se diffusent occasionnellement en Méditerranée occidentale à partir du VIe siècle, notamment en Étrurie méridionale et centro-septentrionale (Vulci, Cerveteri, Pérouse ou Orvieto), où elles sont intégrées à l'imaginaire local parfois sous des formes très originales mêlant le motif de l'ocellage à celui de la sirène. Dans le milieu italique du Picenum (Pitino San Severino et Como) une autre forme de femme-poisson est attestée dans l'art toreutique dit des Situles, jouant encore une fois sur la plasticité des représentations des êtres hybrides : dans un univers végétal et animalier faisant sans doute écho à la symbolique de la régénérescence de la nature et de la vie, des scènes de métamorphose par contact associent les images de la sphinx et du poisson.



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